Skip to main content

Voici plus de deux ans que nous laissons les algorithmes avoir raison de nos sélections d’informations et que nous voyons les informations devenir très vite des opinions qui clivent le lectorat. Et tout ceci se traduisant par des oppositions systématiques. Et si nous revenions au dialogue et restaurions la qualité des liens et le goût pour altérité féconde ?

Dialogue, débat, quelle différence ?

Étymologiquement, le dialogue signifie « discussions, entretien entre deux personnes », de son côté, le débat invite davantage à la polarisation des arguments pour obtenir une victoire ou une défaite.[1]

La différence s’établit dans les intentions des locuteurs.

Dans le cas du dialogue, il y a l’envie de construire, de maintenir le lien, avec l’autre le différent, pour construire avec lui ou elle, une discussion sur un sujet d’intérêt partagé, même si les avis sont différents. Le résultat attendu est une co-construction, une élaboration enrichie des apports des points de vue distincts.

Dans celui du débat, l’intention est d’avoir le dernier mot, d’avoir raison, de gagner. Les arguments ne s’échangent pas pour élaborer une connaissance commune mais pour démontrer à l’auditoire physiquement présent, ou en mode numérique ou lecteur asynchrone d’une diatribe, qui a le plus de poids dans ses affirmations.

La relation s’établit alors dans un rapport dominant-dominé, le sujet[2] importe peu, il est question de montrer qui a le plus d’efficacité dans le rapport de force.

Cependant, tout ceci a lieu autour d’une thématique justement.

Ce qui nous conduit à questionner ce que nous produisons lors des dialogues ou débats, est-ce de l’information, de la connaissance ?

Revenons à nouveau à l’étymologie.

Clarifier les mots que nous employons facilite le partage de représentations sur le sujet évoqué et permet précisément le dialogue et moins le débat. Car ce dernier va se nourrir d’opinions qui permettent de cliver les propos et de rallier les « pour » et « contre » mais pas de faire grandir la connaissance sur un sujet.

Étymologiquement l’information est « ce qui donne forme, ce qui donne une idée de ». Elle va recouvrir aussi bien le message lui-même que les codes et symboles pour le retranscrire.

Une information non vérifiée donne lieu à un point de vue subjectif, souvent mu par une part émotionnelle également fruit de facteurs sociaux (influence des autres ou volonté de les influencer). Elle devient une opinion. On s’y attache, ce qui conduit souvent à dire « j’ai raison » ou à l’induire par la construction lexicale employée. L’opinion correspond à un jugement, un sentiment que l’on porte sur un objet, une situation ou une personne.

De l’information à l’opinion et de l’information à la connaissance[3].

Nos intentions peuvent faire bifurquer le chemin d’une quête d’informations vers un clivage d’avis qui vont se fracasser sur l’altérité rejetée d’autrui.

Car lorsque nous sommes mus par une volonté de dialogue, une intention de connaître, de nourrir la démarche scientifique qui agrège, discute, réfute ou infirme les données, la curiosité est axée sur l’objet de recherche. Les autres sont vus comme des contributeurs féconds, quand bien même nous ne sommes pas d’accord avec eux. Ensemble, nous allons creuser le sujet de « recherche » pour identifier ce qui manque, ce qui mérite d’être corroboré ou revisité. La curiosité nourrit la connaissance. Une quête insatiable de vérité, jamais assouvie, bien entendu.

Lorsque l’information se transforme en opinion, le dialogue devient débat et les avis clivent les points de vue, les vérifications des données sont soit délaissées soit n’ont pour seul objectif que d’alimenter la diatribe et de valider le point de vue du locuteur.

Les communautés se clivent et du désaccord on passe aisément au conflit voire à la violence. L’autre est perçu soit comme un adversaire à combattre soit comme un empêcheur d’avoir raison et il sera question de l’éliminer ou de le dénigrer. Les réseaux sociaux, avec leur caisse de résonnance amplifiée par les algorithmes programmés sur les occurrences, les débats ont de beaux jours devant eux et la connaissance a du mal à faire sa place dans cet environnement dont la vitesse de l’instantanéité des posts nuit à la profondeur de creuser les sujets.

Les opinions dégainent vite les flammèches de l’opposition systématique.

Le dialogue semble alors en retard. Cependant, comme il perdure et nourrit les liens et facilite le tissage de relations de qualité, entretenant l’altérité et le respect des différence, à l’instar du lièvre et de la tortue, il arrive comme cette dame de sagesse, à destination avec patience et endurance.

Lorsque des élections annoncent le futur de nos cinq prochaines années, voire de la décennie cruciale à venir, le dialogue permet de se saisir de sujets transverses plutôt que d’ensevelir l’essentiel dans des débats stériles qui ne nourrissent que l’audimat et les médias qui les relaient.

La démocratie mérite mieux, elle est la forme de pouvoir qui permet aux citoyens de participer à leur avenir, alors osons sortir des oppositions binaires et co-construire des discussions fructueuses sur des enjeux décisifs.

Christine Marsan

10 avril 2022

[1] Voir aussi : https://www.citizenlab.co/blog/participation-citoyenne/difference-dialogue-debat-deliberation/?lang=fr

[2] Dans les deux sens de l’acceptation sujet au sens du thème du débat comme sujet ou l’interlocuteur est devenu objet dans une relation inégale où l’enjeu est que le meilleur gagne. La notion de meilleur restant alors à définir.

[3] La connaissance étymologiquement signifie apprendre à connaître, chercher à savoir, étudier.

Leave a Reply